Extrait :
[...] il est sans aucun doute conforme au devoir que le petit commerçant ne fasse pas payer ses marchandises un prix exorbitant à ses acheteurs inexpérimentés ; et au demeurant c'est là une pratique dont se garde, quand le commerce est de grande ampleur, le sage marchand, qui au contraire pratique un même prix pour tous ses clients, de telle sorte qu'un enfant achète chez lui à aussi bon compte que n'importe qui d'autre. On est donc loyalement servi ; cela seul est cependant de loin insuffisant pour croire qu'en cela le marchand a donc procédé par devoir et d’après des principes de probité ; son intérêt l’exigeait ; mais qu'il ait pu avoir de surcroît une inclination immédiate à ne donner, par une sorte d'amour du prochain, la préférence dans ses prix à aucun de ses clients, c'est ce dont on ne peut faire ici la supposition. Ainsi l'action n’a été faite ni par devoir, ni par inclination immédiate, mais seulement dans une intention intéressée.
Emmanuel KANT, Fondement de la métaphysique des mœurs, Première section (traduction originale Éric Le Coquil).
Questions :
1. Qu'arriverait-il si un commerçant vendait ses marchandises "à la tête du client", en faisant varier le prix selon les uns et les autres, en fonction du fait qu'ils seront capables ou non (dans le cas de l'enfant, par exemple) de s'apercevoir que ce prix est exorbitant ? Imaginez les conséquences que cette attitude pourrait avoir sur le commerce de ce marchand et sur la prospérité de celui-ci.
2. Un petit commerçant qui pratique des prix identiques à tous ses clients pour une même marchandise parce qu'il a compris que c'est dans l'intérêt de la prospérité de la survie de son commerce se comporte-t-il de façon honnête, ou de façon prudente ? Justifiez votre réponse en précisant le sens que vous donnez à "prudence".
3. Un commerçant qui serait convaincu qu'il doit pratiquer des prix identiques pour tous ses clients parce que c'est honnête agirait-il différemment de celui qui le fait parce qu'il sait que c'est dans son intérêt ?
4. Par conséquent, le petit commerçant qui pratique des prix identiques pour tous ses clients agit-il par devoir, ou conformément au devoir ? Peut-on vraiment le savoir avec certitude ? Que faudrait-il, selon vous, pouvoir faire, afin de trancher ?
5. Qu'est-ce qui néanmoins nous interdit de supposer, conformément à l'interprétation de Kant, que ce commerçant ait pu agir par pur devoir, et nous conduit à considérer au contraire qu'il a agi seulement conformément au devoir, donc par intérêt ?
6. Appliquez cette analyse à une situation de votre choix qui met en jeu cette tension entre devoir et intérêt : est-il possible, pour soi-même, d'identifier des cas où l'on aurait agi par pur devoir ?
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